dimanche 17 juin 2012

La volonté-monde


Pulsion existentielle obsessive qui nous anime, y compris dans notre volonté hyperhumaniste.  
Il ne suffit pas de dire que la vie a commencé il y a quatre milliards d'années dans les eaux bouillonnantes et salées des océans, puis qu'elle s'est adaptée progressivement à la vie terrestre depuis quatre cents millions d'années par petits écarts successifs. Le matérialisme a été conçu comme une libération de l’aliénation religieuse du créationnisme. Mais je peux comprendre que les créationnistes jugent les explications de Darwin bien insuffisantes pour expliquer notre existence. On ne peut pas expliquer notre existence en la réduisant à un mécanisme simpliste de la matière. D’autant plus que la matière n’est qu’un moment éphémère d’équilibre apparent de l’énergie. Depuis le XIXe siècle, les sciences de la vie ont connu un développement spectaculaire. La matière atomique est devenue elle-même dynamique et vivante : nous savons désormais créer électro-chimiquement une vie élémentaire. Nous devrions donc parler de vitalisme et non plus de matérialisme. Le vitalisme, dans sa formulation actuelle, est athée. Certes, nous avons longtemps été réticents par rapport à ce concept qui semble, au premier abord, aussi simpliste que «la vertu dormitive du sommeil» dont se moquait Molière. Mais le reproche ne vaudrait-il pas tout autant pour beaucoup d’autres concepts « opératoires » de la science? Newton nous a bien démontré pourquoi l’attraction est une chute. Sait-on pour autant expliquer ce qu’est une force ? Nous ne devrions plus redouter que certains l’interprètent comme une dynamique surnaturelle qui pourrait réintroduire un mystère païen. Nous ne considérons dans le vitalisme, qui n’est pas une théorie constituée, que Ou le magnétisme ? Le vitalisme est une puissance matérielle de la matière, une puissance évidente de développement biologique et de divergence de la nature. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas la capacité de l'expliquer qu’il n’existe pas. Si non, l’univers lui-même n’existerait pas. Le fait que nous soyons de plus en plus capables de déchiffrer des processus physiques, chimiques, physiologiques de la vie ne signifie pas que nous sachions expliquer le vitalisme qui les a créés, mais seulement que nous sommes parties prenantes de la vie. Sans ce vitalisme de la nature, nous ne serions pas là aujourd'hui pour en parler. 
J’appelle volonté-monde ce vitalisme qui habite l’univers, sa puissance atomique et son expansion depuis le big-bang. Cette volonté-monde se manifeste dans la naissance des étoiles, dans les éruptions solaires, dans la sève qui gonfle les végétaux chaque printemps, dans nos pulsions sexuelles, dans l’instinct de création de chaque artiste, de chaque entrepreneur, de chaque enfant qui part à la conquête du monde et de sa vie.
Toutes les mythologies des origines du monde ont imaginé cette volonté-monde en acte. N’est-ce pas ce que nous dit aussi la Bible ? Les grandes philosophies ont diversement formulé cette volonté-monde. Les unes, comme le bouddhisme et le taoïsme l’ont rejetée, la considérant comme la cause de toutes nos souffrances et nous invitent à consacrer nos vies à nous en libérer. Les autres l’ont considéré comme une puissance fondamentale, soit positive, soit négative, de notre évolution et de nos comportements humains.  Hegel a appelé dialectique de la Raison cette volonté-monde qui nous conduit, selon lui, par devers les chaos de la thèse et de l’antithèse vers l’accomplissement de notre Histoire. Schopenhauer a décrit le monde comme volonté et comme représentation et nous voit comme des victimes inconscientes de cette puissance aliénatrice. Marx a célébré les accomplissements du travail, la lutte et la révolution. Nietzsche nous annonce le Surhomme. Freud nomme Eros et Thanatos les deux grandes pulsions qui déterminent nos comportements. L’existentialisme sartrien décline métaphysiquement cette dialectique entre le néant et l’être pour nous affirmer que nous sommes ce que nous faisons. 
Cette volonté-monde c’est la pulsion existentielle obsessive qui habite chacun de nous dans son désir de vivre, et dans son refus de la mort. Chacun veut réussir socialement, créer quelque chose qui lui survive : enfants, entreprise, œuvre. L’adolescent anonyme consacre d’immenses efforts à exister socialement dans l’univers des réseaux sociaux. Que ne faisons-nous pas, quotidiennement, pour exister, pour exister plus qu’hier, pour nous accomplir nous-mêmes. La perfection, c’est l’être plus. Dans CyberProméthée (2003) j’ai décrit la genèse en chacun de nous cet instinct de puissance qui nous obsède dès la naissance. Cette volonté d’exister, d’être au monde, elle est en chacun de nous comme la sève dans la plante, comme l’énergie du magma terrestre, comme le jaillissement du volcan, comme la chute des corps célestes, comme la rotation de la Terre sur elle-même, comme la faim, comme la pulsion sexuelle, comme l’ambition du politicien, comme l’excitation de l’explorateur, comme la volonté du chercheur scientifique, comme l’ego de l’artiste, comme la persévérance du champion sportif, comme le dolorisme du saint, comme la lutte contre la mort du mourant. Elle est dans la volonté de gagner du joueur, de s’enrichir du spéculateur, de tuer du chasseur. Elle est chez Hitler comme chez Gandhi. Pour le pire et pour le meilleur. Elle est. L’univers est volonté-monde. L’homme en est partie prenante : volonté-monde lui aussi. L’artiste, le philosophe sont volonté-monde. Le vitalisme est volonté-monde. L’instinct de création est volonté-monde. La divergence est volonté-monde. Le futur est volonté-monde.
Ne me demandez pas pourquoi la volonté-monde est. Elle est le grand mystère. Elle est l’être. L’être qui veut. Les esprits faibles l’ont appelé Dieu. Les créationnistes croient ingénument que tout est expliqué dans les mots de la Bible, qui n’est qu’une mythologie parmi tant d’autres. Reconnaître la puissance incontestable de la volonté-monde, ce n’est aucunement se déclarer créationniste ! Les matérialistes athées dont je suis n’y voient qu’une énergie en acte, qui a créé l’évolution et la vie, l’intelligence des plantes et celle des hommes, capable tout autant de se répéter que de diverger vers l’inconnu.  


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