dimanche 12 avril 2009

Histoire, divergence et avenir


L’idéologie occidentale tend depuis la Révolution française à confondre histoire et avenir. La croyance au Progrès suppose la croyance en une Histoire en quelque sorte préprogrammée, qui s’accomplit pas à pas, du passé au futur, quels que puissent être les chaos éventuels qu’il faudra traverser pour qu’elle se réalise en tendant vers un point de fuite sur la ligne d’horizon d’une perspective linéaire. Progrès et Histoire relèvent du même mythe que le rationalisme hypostasié par Hegel. L’Histoire s’accomplit dans l’Avenir.
La crise postmoderniste a remis en question aussi bien les mythes fondateurs du passé que du futur et la trame temporelle de ce grand récit de l’accomplissement humain. Le désenchantement général qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la crise du rationalisme classique, le passage de la pensée linéaire à la pensée en arabesque, la fin des mythes du Grand retour cyclique aussi bien que du point Omega, nous invitent à voir plutôt le futur comme un déchaînement totalement imprévisible et éventuellement cataclysmique, ou comme un bouquet d’options dont les logiques profondes nous échappent. Les armements de destruction massive, les déséquilibres politiques et économiques entre le Nord et le Sud, ou entre les continents islamique et chrétien, les bouleversements climatiques, la guerre de l’eau, voire les manipulations génétiques se présentent à nous comme les facteurs les plus déterminants d’une dangerosité planétaire éventuellement incontrôlable.
C’est le moment de recourir à une métaphore : celle de remettre les montres à l’heure ; et de revenir à la logique élémentaire : l’avenir est le contraire du passé. L’histoire est le récit du passé et ce concept ne s’applique évidemment pas au futur.
Nous avons souvent soutenu cette idée que le sens de l’aventure humaine n’est pas plus lisible dans la nature que dans de prétendus «livres saints». Notre destinée ne peut avoir que le sens que les hommes lui donnent. Le sens de la vie est une volonté, une décision humaine. Le progrès n’est pas le fait d’une évolution naturelle, mais d’une volonté humaine, d’une conscience et d’une liberté active. On ne saurait renoncer à l’idée de progrès ; mais seule la volonté humaine peut lui conférer une réalité. Cette posture exclue le nihilisme, le pessimisme, et instaure l’optimisme et la liberté. L’avenir sera ce que nous déciderons collectivement qu’il soit. Ce n’est pas de l’avenir que nous devrions avoir peur, mais de notre liberté de choisir entre le malheur, la folie, la violence, ou une éthique planétaire. Et notre destinée se joue non pas à l’échelle individuelle, mais collective.
L’instauration – ou non - d’une éthique planétaire sera beaucoup plus déterminante de notre avenir que le progrès, même exponentiel, de la technoscience.
La mémoire historique est nécessaire pour orienter notre avenir, et pour nous persuader d’inventer un avenir qui diverge radicalement de notre passé.
Hervé Fischer